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Loi sur la congolité : la ruine d’une nation ?

Il y a 2023, le recensement général de la population et la loi sur la nationalité : trois indices qui renvoient aux élections générales à venir en République Démocratique du Congo. A deux ans de l’échéance, un ancien candidat à la présidence propose de limiter l’accès à cette fonction aux congolais « de père et de mère ». Souverainiste et impersonnelle ou exclusive et discriminatoire, « la Loi Tshani » a animé les réseaux sociaux, gagné l’opinion et désormais elle est promise à des débats parlementaires. C’est une décision historique qui attend les élus, dans le sixième pays le moins pacifié du monde d’après le Global Peace Index 2021.

Economie de la Loi Tshani

En mai dernier, les premiers échos arrivaient au sujet d’une éventuelle proposition de loi pour renforcer les critères d’éligibilité au poste de Président de la République. Précisément, la magistrature suprême serait « réservée exclusivement aux congolais nés de père et de mère congolais » selon l’initiateur, le candidat à la présidentielle de 2018, Noel Tshani Mwadiamvita contrairement à la législation en vigueur notamment l’article 103 de la Loi électorale qui reconnaît ce droit à chaque congolais d’origine (dont un des parents – le père ou la mère – est congolais). Avant même son examen à l’Assemblée nationale, la « Loi Tshani » a provoqué des réactions dans tous les sens. Mais qu’en est-il de son contenu ?

La proposition de loi modifiant et complétant la Loi du 12 novembre 2004 sur la nationalité congolaise apporte des changements sur 17 des 53 articles du texte actuel. Mais l’exposé des motifs se résume à deux points à savoir l’irrévocabilité de la nationalité d’origine et le verrouillage de l’exercice de hautes fonctions. Ainsi, l’article premier deviendrait : « la nationalité congolaise une. Toutefois, tout congolais résidant habituellement à l’étranger qui acquiert une nationalité étrangère ne perd la nationalité congolaise que si elle le déclare expressément ». Au sens de cette évolution, la nationalité congolaise ne serait plus exclusive, ce qui ouvre la voie à la double nationalité en RDC. Bien que le président Tshisekedi s’était dit favorable à l’idée d’une double nationalité, il n’y a jamais eu d’initiative expresse dans ce sens-là. Mais les dissensions sont ailleurs.

C’est bien l’article 24 de la Loi Tshani qui intéresse les pro et les anti. « Toutefois, pour des raisons de loyauté et de fidélité à la nation congolaise, l’exercice de la fonction du Président de la République, du Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat n’est réservé qu’aux seuls congolais nés de père et de mère », peut-on lire à l’alinéa premier. L’alinéa 2 élargit la restriction aux fonctions de Premier ministre, des Présidents de la Cour constitutionnelle, de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat et des Procureurs généraux près ces juridictions ; d’Administrateur Général de l’Agence Nationale de Renseignements, de Directeur Général de la Direction Générale de Migration et tous les Généraux des Forces Armées et de la Police Nationale Congolaise. Quel que soit le sort de cette proposition, ce n’est pas la première fois que le législateur recourt à une telle restriction. L’article 40 de la Loi de 2002 qui organise la Banque Centrale du Congo dispose notamment que « nul ne peut être nommé Gouverneur de la Banque s’il n’est congolais de père et de mère ». En effet, si le verrouillage opère pour la BCC, à combien plus forte raison pour une fonction plus régalienne ?

« Curieusement, trois ans après la rétention du critère de filiation parentale pour la fonction de Gouverneur de la Banque Centrale, le FCC (Front Commun pour le Congo, ndlr), dont le PPRD (parti de Joseph Kabila, ndlr) est cheville ouvrière, et Ensemble de M. Moïse Katumbi s'opposent violemment au même principe, qu'ils ont pourtant eux-mêmes proclamé et entériné sous le Président Kabila », s’indigne l’avocat Léon-Richard Engulu, qui défend la réforme, alors que les partisans de l’ancien président et ceux de Katumbi y sont opposés. En 2018, la Loi sur l’Institut d’émission a été révisée mais l’article est resté intact. La Loi Tshani essaie de tirer assise de la loyauté et de la fidélité envers la nation, ce qui dérange d’autres analystes. « Depuis 1960 jusqu'à ce jour,  la RDC est toujours gérée par les congolais de père et de mère,  pour quel résultat !   Obama qui a géré les USA,  les a-t-il trahis pour avoir un parent d'origine africaine ?

La RDC a besoin d'un vrai leader et manager pour son décollage et non de lois ségrégationnistes », observe John Mbangu Kayombo, master en criminologie de l’Université de Lubumbashi. Même chez les défenseurs de la loi, certains agréent cette analyse sans remettre en cause la pertinence de la démarche. Cas du professeur Nkere Ntanda Nkingi, enseignant des sciences politiques à l’Université de Kinshasa et acteur politique proche du camp présidentiel. « Etre de nationalité congolaise ne garantit aucune performance ni qu’on ne peut pas trahir. Ça n’a rien à voir avec ces aspects-là. C’est la nature de la fonction qui dicte le verrouillage. C’est parce que c’est la président que n’importe qui ne doit pas y accéder. Le sens du verrouillage est à voir dans le caractère régalien du poste qui est verrouillé ».

Opportunité de la Loi

C’est donc une loi qui bénéficie d’une jurisprudence vivante en droit interne et même en droit comparé, note le professeur Nkere qui s’insurge contre la Monusco et les Etats-Unis, hostiles à la loi. « Donc, pour une fois, les pays étrangers doivent apprendre à respecter les questions purement nationales. Nous ne sommes pas allés aux USA pour demander que Schwarzenegger devienne président quand on sait que la loi le lui interdit par le fait que ses parents ne sont pas à 100% américains ». Mais, le timing et le contexte interrogent. Le chef de l’Etat actuel, Félix Tshisekedi vient d’annoncer sa candidature pour un second mandat alors que le pays espère des élections apaisées en 2023 pour, peut-être, tourner la page des irrégularités électorales de 2018 lors de son arrivée au pouvoir. Un scrutin inclusif et apaisé est nécessaire pour cela.

Or, sur le terrain, la loi Tshani pénaliserait un adversaire costaud et très populaire. Le bon sens, dit Montesquieu dans Esprit des Lois, consiste beaucoup à connaître les nuances des choses. Pour le culte historien Isidore Ndaywell è Nziem le moment n’est pas propice. « On y reviendra quand nous aurons résolu nos problèmes existentiels, particulièrement ceux de la précarité généralisée et l’insécurité à l’est. Nous aborderons alors ce problème de manière responsable, en dehors du contexte électoral, sans sacrifier l’impératif de la cohésion nationale », conseille l’auteur d’Histoire générale du Congo : de l’héritage ancien à la République démocratique qui était au front pour arracher l’alternance politique à Joseph Kabila.

Nécessité, opportunité et urgence doivent être établies pour une telle procédure législative en vue de 2023 ou c’est la levée des boucliers. « Suggérons à tous les citoyens congolais d'éviter et de combattre toute idée susceptible de mettre le pays à feu et à sang comme celle de Noel Tshani.  Une fois la loi Tshani  passe à l'Assemblée nationale, le peuple doit rester prêt pour manifester pacifiquement comme il avait fait pour dire non à Ronsard Malonda ».

En 2020, le parti présidentiel, coincé dans sa coalition avec l’ancien régime, avait soulevé la population, au même titre que l’opposition contre la désignation du chef de la Commission électorale et contre des propositions de loi qui risquaient d’entamer l’indépendance de la justice. Il est donc hors de question qu’il s’abstienne sur les tensions actuelles, selon John Mbangu. « Fatshi (Félix Tshisekedi, ndlr) avait interféré contre la loi Minaku et Sakata et contre le choix de Ronsard Malonda, s'il est réellement démocrate,  il doit protéger tous les citoyens contre la loi discriminatoire de Tshani ».

Une loi « discriminatoire » aussi d’après le député national Jean-Claude Kibala du parti de Moise Katumbi. Malgré des gesticulations partisanes, le chef de l’Etat est encouragé à privilégier l’indépendance du Parlement. « Le président Félix Tshisekedi, légaliste de la première heure, ne saurait donc répondre aux sirènes de la violation de la Constitution envoyée par certains politiques en s'immisçant sur le chantier du jaloux pouvoir législatif, séparation des pouvoirs oblige », persiste l’avocat Elungu dans sa tribune.

Pour Nkere Ntanda, il faut un regard universel et non personnalisé. « Prétendre que la loi Tshani vise Katumbi, en tout cas, ce n’est pas moi qui vois les choses comme ça ». Avant d’ajouter : « je pense qu’il était temps qu’une telle loi soit proposée. C’est dommage que ça tombe à ce moment et que certaines personnes se pensent visées par la loi. On devait, depuis longtemps, verrouiller l’accès à la magistrature suprême ». 

« Depuis longtemps », donc. Alors pourquoi maintenant et pas hier ou après 2023 ? Un leader ciblé ou une victime collatérale d’une bonne loi ? Les camps se figent.

Révision constitutionnelle ou pas ?

La loi Tshani sera-t-elle un jour débattue en plénière à l’Assemblée ? Le professeur Nkere prône la procédure. « J’espère que les représentants du peuple auront le temps de comprendre d’abord la quintessence de proposition avant de pouvoir se prononcer », a-t-il dit.

Devant ses collègues, le 13 juillet, le président du bureau, Christophe Mboso s’y était aussi montré favorable en félicitant le député Pululu qui a endossé l’initiative de Noel Tshani. En fait, ce dernier n’entre pas dans la dénomination de l’article 218 de la Constitution qui reconnaît l’initiative d’une révision constitutionnelle au gouvernement, aux élus et à 100 000 congolais, à travers une pétition. Mais pourquoi faudrait-il réviser la Constitution ?

La loi fondamentale est claire lorsqu’elle requiert la nationalité d’origine pour le poste. Les dispositions relatives du Code de la famille et surtout de la Loi électorale tirent ici leur soubassement. Introduire dans la Loi sur la nationalité congolaise une modification si transversale est très complexe. Jean-Claude Kibala le sait. « Notre Constitution a déjà pris des dispositions pour éviter des dérapages. L’article 13 est clair quant à ce. On ne peut pas interdire à un congolais d'occuper une fonction aussi hôte qu'elle soit à cause de sa race, de ses origines, sa peau et ainsi de suite.

Les articles 10, 72 et 220 sont clairs », se rassure l’ancien ministre de la fonction publique. L’article 220 de la Constitution reprend six matières insusceptibles de révision constitutionnelle. Cependant, ce verrouillage de l’alinéa premier ne concerne pas la nationalité ni la loi électorale. Seulement, le second alinéa interdit « toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne… ». Comme le droit à se présenter à la présidentielle ? Le juge constitutionnelle pourrait être sollicité si les camps se radicalisent.

Fracture sociale - Souveraineté

Le politologue Nkere Ntanda réprouve la manière dont « la presse est entrain de catégoriser cela comme une loi sur la congolité, c’est-à-dire qui est congolais, qui ne l’est pas. Or, ce n’est pas ça. Malheureusement, c’est cette mauvaise interprétation qui crée l’agitation autour de cette proposition ». L’universitaire est très perspicace. Tout comme lui, l’ancien directeur de cabinet adjoint de Joseph Kabila, Jean-Pierre Kambila avise  contre l’amalgame.

Mais il se tient du côté opposé. « Dans l’esprit de beaucoup, il y a maintenant l’idée que les congolais nés d’un parent étranger sont de potentiels traîtres. Ce qui est faux et même ridicule », déplore-t-il tout sans s’inquiéter. « Je m’exprime sur la loi, sur son contenu, mais je ne l’empêche pas de poursuivre son chemin vers l’échec ». D’autres maintiennent la vigilance au cours de cet épisode trouble de la vie publique.  « Le risque d'embrasement du pays est trop grand.  Pour éviter ce risque,  tous, la communauté tant nationale et internationale doit s'ériger en barrière contre la proposition ségrégationniste et sanguinaire de Tshani », pour John Mbangu. La mobilisation n’a pas manqué depuis.

A Lubumbashi, pourtant fief de Moise Katumbi, une structure de la jeunesse a sensibilisé sur la loi tandis qu’Ensemble pour la République a réuni sa jeunesse à Kinshasa. Des organisations congolaises et pas seulement ont pris position. En se prononçant contre la Loi Tshani, la Monusco et les USA, par exemple, ont énervé le président de l’Assemblée nationale. « Elle (la RDC, ndlr) regrette cette propension audacieuse de certains diplomates à prendre publiquement position sur des questions qui relèvent du domaine réservé́ de l’Etat, voire à mettre la pression sur ses institutions dans le but d’orienter les décisions ». Décidément, l’arbitrage extérieur n’est pas du goût des souverainistes. Le professeur Nkere prend Washington à son propre jeu. « Et d’autres pays, par exemple, ont d’autres formes de verrouillages.

Aux USA, vous devez être né aux USA pour un jour accéder au poste de chef de l’Etat. Vous pouvez être le fils de n’importe qui, d’un ambassadeur, vous étiez né à l’étranger, vous ne serez jamais président de ce pays-là ». Pour lui donc, c’est à la RDC de décider de l’encadrement de sa sûreté. « C’est pourquoi, nous disons ici chez nous, tant que vos deux parents ne sont pas de nationalité congolaise à 100%, vous ne serez jamais président de ce pays. Ce n’est pas trop demander à mon sens et l’agitation a un caractère politicien ».

Majorité présidentielle : le chemin tortueux jusqu’aux élections de 2023

Fin 2020, alors que le navire Tshisekedi tanguait, l’arrivée de Katumbi sur le pont avait ramené de l’équilibre. Avec ses 70 députés nationaux et son aura, il avait contribué à inverser la majorité parlementaire jadis au contrôle de Kabila. Que c’est loin l’empoignade entre les deux hommes ! La loi Tshani vient rappeler que les deux hommes sont surtout deux futurs challengeurs pour la prochaine présidentielle. Officiellement, l’UDPS n’est pas derrière cette loi qui aiderait tout de même à garantir un second mandat à Tshisekedi en écartant de la course son principal adversaire. Mais, l’autre camp n’en veut plus de l’hypocrisie. Le porte-parole de Moise Katumbi, Olivier Kamitatu et les élus d’Ensemble pour la République ont tracé « la ligne rouge à ne pas franchir » en prévenant l’Assemblée contre « l’inscription de cette proposition de loi au calendrier de la prochaine session » sous peine de se retirer de l’Union sacrée, la coalition gouvernementale.

Ce ton dérange l’avocat Léon-Richard Elungu « Ensemble (pour la République, ndlr), le plus agité dans ce débat, semble reconnaitre tacitement que son leader n'observe pas le régime congolais de la nationalité. Il n'y a pas de fumée sans feu, dit-on » mais également le professeur Nkere pour qui « prétendre qu’on va sortir de l’Union sacrée parce que la proposition de loi faite par quelqu’un qui n’est même pas membre du parlement vous met mal alèse, c’est se prendre pour une autorité suprême dont on doit nécessairement respecter la volonté… C’est trop cavalier, trop arrogant politiquement ». Les katumbistes exigent donc une solidarité de leur allié quitte à mettre une énorme pression sur le chef de l’Etat à qui Olivier Kamitatu prête l’idée de « préparer une parodie d’élection afin d’installer un régime autocratique ».

On a commencé à mesurer les rapports de forces entre protagonistes de 2023. Mais c’est le premier ministre Sama Lukonde dont le gouvernement des warriors n’a pas encore établi des performances évidentes qui peut payer le prix fort. « Tout antagonisme entre les différentes forces qui constituent l’Union sacrée est bien sûr à éviter », remarque Nkere Ntanda avant de trancher très fermement. « Néanmoins, si on a intégré cette institution pour en profiter, pour se cacher contre des méfaits, pour exiger l’orientation de la loi selon sa volonté, on n’est pas à sa place ».

Et beaucoup ne se font plus d’illusion. « Entre perdre un allié et violer la Constitution, tout chef de l'Etat digne ne saurait que faire honneur à son serment, et Tshisekedi est issu de l'école de la dignité.  Ensemble doit soit tempérer ses ardeurs, soit tout simplement plier bagages de l'Union sacrée. Cette dernière option est de loin plus rationnelle. Mieux vaut un divorce qu'un mariage de façade ». Pour l’avocat Elungu, c’est comme si la rupture était déjà consommée, un point d’accord avec John Mbangu. « Ils (Ensemble pour la République) ont raison. Deux personnes ne peuvent pas cheminer ensemble si l'une travaille pour écraser l'autre ».

Mais jusqu’où peuvent aller pro-Tshisekedi et pro-Katumbi ? Dimanche, 18 juillet, l’homme politique Moise Moni Della, proche de l’ancien gouverneur du Katanga a renoncé à sa nomination au sein du conseil d’administration d’un important service public, l’Ogefrem. Dans sa correspondance, il précise « les récentes tentatives de déstabilisation du leader de Ensemble pour la République, Moise Katumbi, à travers l’indécente proposition de loi Tshani/Pululu, soutenue de toute évidence par une partie de l’Union sacrée ont fini par me dissuader d’assumer ce rôle de censeur ». Quitter l’Union sacrée est une autre paire de manches. Ce gouvernement incarne les attentes d’un peuple lassé des bisbilles. Chacun essaie donc de pousser l’autre à la faute en vue d’avoir un discours pour la campagne. Malgré tout, le ton est donné.

Maghebe Deba - Oeil d'Afrique



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